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Blog des CM1A
19 janvier 2015

Nom de code: Alpha Rouge (suite)

La Rouge en fait, non contente de n’être qu’un souk, est aussi une immense friperie. Les friperies, on ne savait pas ce que c’était, il  a fallu la mondialisation et d’autres facteurs socio-politiquo-économiques, pour que nous prenions connaissance d’un aussi intéressant commerce occidental. Les vêtements dans notre conception des choses, étant des objets hautement personnels, on ne se serait jamais permis de les revendre, sauf si une déplaisante partie de poker venait à nous y obliger. D’où l’énorme malaise social qui en découle.

             La Rouge, jusqu'à des temps récents, était le lieu où ne venaient faire du lèche-vitrines et du shopping, que les individus, disons, en mauvaise posture financière. D’ailleurs moi-même dans ma jeunesse, je restais hébété devant un tel ouvrier, ou un tel technicien de surface arborant des T-shirts made in U.S.A, similaires à  ceux que m’achetait ma mère dans de prestigieuses boutiques casablancaises, à l’issu, et seulement à la clause indiscutable de l’évaporation miraculeuse de sa modeste solde de fonctionnaire.  Je pensais que c’était des cousins ou des frères exilés à l’étranger, qui  en revenant pendant l’été profiter du superbe et unique soleil marocain, ramenaient  ces beaux et coûteux atours, dans leurs imposants véhicules, semblables à ces camions légendaires bourrés de patriotes, qui ont fait le succès de notre glorieuse Marche Verte. Il n’en est rien, ces gens faisaient simplement leurs courses à La Rouge, et je m’en veux de ne pas m’en être rendu compte plus tôt. 

            N’étant pas capitaliste d’opinion- ni même communiste d’ailleurs, mais parler de politique ça donne toujours l’air important -, je décidais  aujourd’hui de cesser de faire le jeu des capitalistes casablancais, et de rejoindre mes frères pauvres, mais néanmoins bien habillés, dans leurs chineries hebdomadaires. 

            Comme je me l’étais promis, me voila embarqué aujourd’hui, avec un commando terrible, totalement féminin, dont le seul mot d’ordre semble être : « Sus à  la Rouge ! ». La route que nous empruntions ne m’était pas inconnue, je l’empruntais souvent pour aller hanter les couloirs de notre chère faculté d’El Jadida. Je connaissais de vue le lieu où s’implantait en l’espace d’un jour l’événement mondain de la semaine.  C’était un immense terrain désert, si désolé et si vide qu’on croirait qu’Attila le Hun avait poussé ses hordes guerrières et son empire jusqu'à cet endroit. Le cas étant que si Attila était passé par là, l’herbe ne repousserait pas. L’herbe ne pousse sûrement pas ici et ne poussera certainement jamais, en revanche de drôles de tentes apparaissent là ou les autres jours, il n’y avait que des pierres et cette drôle de terre à la couleur rouge. Eh !... mais voila l’explication. C’est peut être à cause de la couleur du terrain qu’on avait nommé cet endroit ainsi. C’était  ça ou bien c’était parce qu’il y’avait eu jadis des peaux rouges, des  amérindiens, Comanches ou Apaches, qui confondant cet endroit avec les plaines désertiques de l’Oklahoma, octroyées généreusement et magnanimement par le gouvernement américain, avaient établi  leurs tipis ici, en attendant de pouvoir commercer avec les indigènes locaux.  En fait non, cela est fort improbable, les amérindiens avaient d’autres chats à fouetter que de penser à venir faire du troc ou du tourisme au Maroc. Nous opterons donc pour la première explication, moins séduisante mais plus logique.

            Nous étions arrivés, l’endroit à part les fripiers et les tentes bourrés de vêtements était vide. C’est une bonne nouvelle selon un membre expérimenté du commando, mais il fallait faire vite car bientôt des cohortes de chineurs allaient faire leur apparition. L’instructeur en chef continuait son speech et promulguait tout en faisant mouvement vers les tipis ses conseils aux bleus du groupe, c'est-à-dire à moi, à ma mère et à ma sœur. Ca se voyait qu’on était des bleus. On était les seuls du groupe à ne pas porter des lunettes de soleil noirs. Ce n’est qu’après que j’ai compris le rôle des lunettes noires. Notamment quand commencèrent à arriver les « cohortes » de chineurs.

            Vers le coup de huit heures, huit heures et demie, le campement s’anima. Les légions de chineurs commençaient à déferler sur le campement. J’avais déserté le commando qui commençait à quadriller frénétiquement une zone qui semblait présenter des enjeux stratégiques, et j’allais en éclaireur, reconnaître les lieux.

            Je déambulais nonchalamment entre les stands, et je remarquais que chaque secteur avait sa spécificité. En effet, cet endroit malgré une anarchie apparente succombait à une sorte d’organisation locale, et chaque secteur, semble t-il, se spécialisait dans la vente d’un vêtement caractéristique. Par exemple à l’entrée du campement c’était plutôt les vêtements de femmes qui étaient en vente, ce qui expliquait que le commando stagnait à cet endroit. Là  où je me trouvais maintenant, c’était des vêtements d’hommes et spécialement des costumes. Des costumes de deux, trois ou quatre pièces, qui étaient en vente au prix imbattable de cent dirhams.  Je n’en croyais pas mes yeux, il y’avait là des costumes en tout points semblables à ceux mis en vitrine dans les boutiques huppés du centre ville, à la différence que ceux du centre ville étaient dix ou trente fois plus chers.

            Je continuais ma promenade lorsque j’aperçus une silhouette familière, c’était une de mes camarades de classe. Naturellement, et conformément aux règles de la bienséance que les romans du dix-huitième siècle nous avaient apprises, j’allais lui souhaiter le bonjour. La demoiselle, le regard dissimulé par des Ray ban, je dois l’avouer de très mauvais goût, ne parut guère enthousiaste à l’idée que je lui présentasse mes hommages, et après un bref salut, prétexta de rejoindre une unité familiale, stationnée non loin de là, et disparut dans les méandres du campement. Son comportement me parut étrange car d’habitude, non pas qu’elle soit bavarde, mais d’habitude, lorsque je la rencontrais dans le grand boulevard ou ailleurs, il me fallait une bonne demi-heure avant de pouvoir m’en extirper. Mais je ne pensais déjà plus à cette rencontre car je fus attiré par un autre phénomène pour le moins dire bruyant. Il s’agissait des fripiers. Ceux-ci, en bon nombre et répartis sur plusieurs points de leurs stands, criaient gaiement des paroles, qui au premier abord ne semblaient que vanter la qualité de la marchandise. Mais, pour des connaisseurs, et spécialement pour ceux qui comme moi, ont suivi les fameux, mais traumatisants cours de phonologie et de sociolinguistique à la faculté, ceux-la décortiquent systématiquement n’importe quel langage, aussi banal paraisse t- il, à la recherche des codes et sous-entendus que le langage en question pourrait renfermer.

            Je prêtais l’oreille, et je remarquais que la tonalité, ainsi que le contenu des exhortations des fripiers, changeait selon le genre de clients qui se trouvaient, ou s’apprêtaient à franchir le périmètre des dits marchands. Ainsi, si ce sont de charmantes demoiselles qui sont dans le terrain, les voix se feront plus douces, les paroles plus  poétiques, si j’ose dire, alors que si ce sont des jeunes hommes, à l’aspect notoire, car forcément moins charmants que des demoiselles, les voix se feront plus graves, plus menaçantes, et le contenu des messages semble inciter les fripiers-vigiles à ouvrir l’œil et le bon.

            C’est donc dans une cacophonie ambiante, et dans un endroit qui commence à ressembler à une fourmilière  que je continuais ma ronde. Chose étrange, de temps à autre, lorsque je remarquais quelqu’un de ma connaissance : ami(e), chirurgien-dentiste, ou professeur….et que je me dirigeais vers lui, je ne sais pas par quel prodige mais ce dernier disparaissait mystérieusement dans la foule, après qu’il eut jeté un coup d’œil furtif dans ma direction. Je n’étais jamais sur qu’il m’avait bien aperçu, à cause des lunettes de soleil qui dissimulaient les regards, mais je parierais ma chemise que l’on m’avait non seulement aperçu, mais qu’on m’avait aussi balisé pour m’éviter à l’avenir.

            Drôle d’endroit, peuplé de Men in Black farouches, tout droit sortis d’un film d’espionnage américain, entraînés vraisemblablement, et efficacement au camouflage, et entraînés surtout à  localiser et à semer les agents ennemis, qui pourraient trahir leurs identités à des puissances étrangères communistes. D’ailleurs tous ces porteurs de lunettes noires faisaient penser à des agents du F.B.I ou de la N.S.A, à la recherche d’un quelconque objet  vital pour la sécurité de la protectrice de la veuve et de l’orphelin; la puissante et bienveillante Etats-Unis d’amérique. Peut-être qu’ils sont à la recherche de la chemise de l’assassin de Kennedy, ou peut-être qu’ils essaient de mettre la main sur la combinaison spatiale d’un petit homme vert. Un martien ou un vénusien, admiratif de la grandeur et la bonté de la race humaine, et  fan spécialement  de la mère Térésa, qui dans un geste d’expiation extrême, et dans la perspective de devenir moine bouddhiste, a choisi de faire don de sa combinaison interstellaire à un pauvre pilote de tapis volant marocain.

            Tout cela était décidément trop bizarre pour moi. Le réveil brutal et le soleil qui devenait de plus en plus brûlant, me donnaient l’impression d’être dans une autre dimension. Je décidais donc d’aller retrouver  mon unité et de déguerpir au plus vite de cet endroit.

            Ce lieu ordinairement désert, grouillait maintenant d’une immense foule humaine. On aurait pu croire que dans un lieu ou il y’a une si forte densité humaine- surtout que la plupart se connaissaient, El Jadida ce n’est pas Tokyo- la chaleur humaine aurait pu être plus grande, mais il n’en était rien, les gens s’ignoraient dans un savant jeu  de localisations, et de disparitions qui en faisaient plus des fantômes que des hommes en chair et en os. Remarquez, cela n’était pas plus mal, pour moi personnellement, une semaine de chaleur humaine  ça me calcinait le moral, et je dois dire que la froideur que j’ai ressenti en ce lieu, en dépit d’une déception initiale,  m’avait fait du bien. En fait on se sent libre, on se sent libre d’une liberté qui n’est pas permise chez un peuple réputé chaleureux -les slogans publicitaires, vantant le produit marocain à l’étranger s’appuient foncièrement sur ce fait, il serait indélicat de les contredire -  et dont les coutumes et traditions préconisent avant tout le rapprochement humain.

            J’allais certainement inclure une visite à La Rouge dans mon programme d’activité hebdomadaire. Cela m’aidera à réguler mon taux de chaleur humaine, et à faire par la même occasion l’acquisition de certaines pièces vestimentaires que j’ai repéré, et qui seraient une bonne affaire pour ma garde robe et pour ma bourse. Oui, La Rouge me ferait certainement du bien sur le plan humain, j’espère que je continuerai à y aller, enfin, si j’arrive à me réveiller humainement bien entendu.

 

 

           

 

 

                                                                                       

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